La semaine universelle de prière pour l’unité des chrétiens
La semaine universelle de prière pour l’unité des chrétiens a vu le jour en 1935, dans la première moitié du 20ème siècle qui aura été celui du rapprochement entre les chrétiens et de l’émergence du mouvement œcuménique.
Mais avant de nous intéresser à l’apport décisif du Père Couturier qui fut non seulement à l’origine de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens telle que nous la connaissons aujourd’hui, mais aussi du Groupe des Dombes, il convient de rappeler brièvement le contexte historique principalement marqué par les initiatives des non-catholiques.
1) Les frémissements du 19ème siècle du côté non catholique.
Depuis la rupture du 16ème siècle, les chrétiens n’ont jamais cessé de prier pour leur réconciliation[1]. On perçoit au 19ème siècle, des tentatives de rapprochement chez les chrétiens non-catholiques. La nécessité d’une meilleure coopération les a amenés à créer les premières organisations internationales[2] qui mèneront un siècle plus tard à la création du Conseil œcuménique des Eglises.
Parmi ces tentatives, il convient de souligner :
– L’initiative de l’Alliance évangélique créée à Londres en 1846 qui lança le premier dimanche de janvier de l’année suivante, la première Semaine de prière de l’Alliance évangélique, prière qui perdure encore aujourd’hui.
– Celle de l’Association pour la promotion de l’unité du christianisme, créée par des anglicans en 1857, qui avait pour but de réunir anglicans, orthodoxes et catholiques pour prier uniquement pour l’unité. Sur l’avis du Saint office, le pape Pie IX, en 1864, interdira aux catholiques d’y participer.
– Enfin celle de la Communion anglicane qui dès sa fondation en1867, appela à prier pour l’unité des chrétiens. En 1888, elle définira le socle doctrinal de la foi commune des Eglises membres. Ce fonds doctrinal que l’on a coutume d’appeler le « Quadrilatère de Lambeth[3] » présente ces principes essentiels en quatre points et doit servir de base à son effort de rapprochement œcuménique avec les autres confessions chrétiennes. C’est là, la première tentative pour offrir un cadre au débat interconfessionnel.
Face à ces volontés d’union ou d’alliance, le pape Léon XIII, à la fin du siècle invita les catholiques à instaurer une neuvaine de prière dans le temps de Pentecôte pour « hâter l’unité du peuple chrétien[4] », c’est à dire le « retour [5]» des chrétiens séparés à l’Eglise catholique romaine.
2) Le contexte du début du 20ème siècle
– Le travail institutionnel.
Les tentatives d’unions et de dialogues entreprises par les non-catholiques au cours du 19ème siècle vont se développer dans les premières décennies du 20ème. Lors de la conférence missionnaire d’Edimbourg en 1910 qui est considérée comme le début du mouvement œcuménique, la question de la nécessaire unité[6] des Eglises sera posée.
Ce n’est qu’après la première guerre mondiale, que le mouvement œcuménique va se développer. En 1920, le patriarche orthodoxe de Constantinople, Mgr Dorothée, adressa une lettre encyclique dans laquelle il appelait toutes les Eglises à développer des relations étroites et à collaborer en matière de progrès religieux et de bienfaisance. Cette même année les évêques de la Communion anglicane adressèrent un appel similaire. Protestants, anglicans et orthodoxes vont œuvrer ensemble pour manifester d’une façon nouvelle l’unité de l’Eglise et chercher comment la manifester d’une manière concrète. Dès lors sont créés Vie et action (Christianisme pratique) à Stockholm en 1925 et Foi et Constitution à Lausanne, en1927, qui jettera les bases de ce qui deviendra le Conseil œcuménique des Eglises[7].
L’Eglise catholique romaine restera en retrait. Dans l’encyclique Mortalium animos de 1928, le pape Pie XI critiquera et condamnera ce mouvement et interdira aux catholiques d’y participer :
« On comprend donc, Vénérables Frères, pourquoi ce Siège Apostolique n’a jamais autorisé ses fidèles à prendre part aux congrès des non-catholiques : il n’est pas permis, en effet, de procurer la réunion des chrétiens autrement qu’en poussant au retour des dissidents à la seule véritable Eglise du Christ, puisqu’ils ont eu jadis le malheur de s’en séparer.[8] »
– L’Octave de prière de Paul Wattson[9]
A côté de ces mouvements institutionnels, un épiscopalien américain le révérend Lewis Wattson, proche des communautés anglicanes favorables à une union avec Rome, fonda avec Lurana White, une communauté de spiritualité franciscaine vouée à la promotion de l’unité des chrétiens, The Society of the Atonement. A l’automne 1908, les sœurs et les frères de l’Atonement, seront accueillis officiellement dans l’Eglise catholique romaine.
Inspiré sans doute par l’appel de Léon XIII, Wattson lança en 1908, du 18 au 25 janvier, une Octave de prière pour l’unité de l’Eglise, dans l’esprit d’un retour à Rome des chrétiens séparés qui sera reconnue en 1916 par le pape Pie X.
Ce bref rappel des questions qui travaillaient les chrétiens à l’époque où l’abbé Couturier entreprenait son ministère, nous paraît important pour comprendre son évolution et la genèse de sa conception d’un œcuménisme spirituel qui va révolutionner l’approche de l’unité et de l’œcuménisme.
3) L’intuition de l’abbé Couturier et la transformation de l’Octave de prière en Semaine de prière.[10]
L’abbé Paul Couturier (1881-1953), prêtre diocésain ordonné en 1906, licencié en sciences physiques, enseigne les sciences à l’institution des Chartreux à Lyon, pendant près de 40 ans, de 1907 à 1946.
Dès 1923, le père Albert Valensin, jésuite professeur aux Facultés catholiques de Lyon, lui parle de la misère des exilés russes à Lyon après la révolution de 1917. Paul Couturier et sa sœur aînée se dépensent sans compter pour les aider. Couturier découvre leur attachement à l’orthodoxie, attachement qui résiste à ses essais de prosélytisme.
En 1932, sur le conseil d’un ami, Couturier part faire une retraite au prieuré bénédictin de l’Union à Amay-sur-Meuse en Belgique (prieuré fondé en 1925 par le bénédictin dom Lambert Beauduin, monastère transféré à Chevetogne en 1939). Il y expérimente la prière liturgique selon les deux rites, romain et byzantin (grec ou slave), et découvre une théologie de la liturgie, développée par le fondateur, novatrice pour l’unité des chrétiens. C’est aussi à Amay que Couturier songe à une possible célébration à Lyon de l’Octave de prière initiée par Paul Wattson en 1908. C’est le point de départ de son engagement œcuménique.
Vingt ans après l’arrivée des premiers réfugiés, le 18 décembre 1932, à côté de l’église St-François de Sales, est inaugurée une chapelle, placée sous le vocable de saint Irénée, où est célébrée la liturgie byzantine-slave pour les Russes catholiques.
Du 20 au 22 janvier 1933, Couturier lance à Lyon, en l’église St-François de Sales, trois jours (un Triduum) de prière pour l’Unité sur la base de la formule unioniste d’un retour à l’Eglise catholique. Puis le Triduum devint dès l’année suivante « Octave de prière pour l’unité des chrétiens », puis ensuite « Semaine de prière pour l’unité chrétienne », du 18 au 25 janvier de chaque année. Soutenus par le métropolite Euloge, des orthodoxes participent à la Semaine à partir de 1935. Par petites touches, il subvertit la formule unioniste jusqu’à ce qu’elle devienne, en 1937, « L’Universelle Prière des Chrétiens pour l’Unité Chrétienne » (cf. Revue apologétique, novembre 1937), « comme le Christ la veut et par les moyens qu’il voudra ». Plus question d’un retour au bercail romain mais une émulation spirituelle convergente avec le vœu du Christ : « Qu’ils soient un » (Jn 17, 11).
Dès lors l’« œcuménisme spirituel » est né : les divers rameaux de la chrétienté peuvent s’approprier une prière dépourvue de tout accent prosélyte. Mais les deux formules restent en concurrence : d’un côté, l’abbé Couturier et son successeur le sulpicien Pierre Michalon à la tête du Centre Unité chrétienne, de l’autre, le mouvement romain Unitas appuyé par les Assomptionnistes et les Franciscains de l’Atonement fondés par Paul Wattson.
4) Développements de la semaine de Prière Universelle pour l’Unité des chrétiens.
Le mouvement de la Semaine de prière pour l’unité chrétienne a rapidement pris une dimension interconfessionnelle et internationale. L’abbé lyonnais composa et envoya dans le monde entier ses fameux « tracts » (73000 en février 1953, un mois avant sa mort !), à ses propres frais, à partir de son bureau à l’Institution des Chartreux. Ces tracts donnaient un thème pour l’année, des textes bibliques et prières pour chaque jour de la Semaine, voire un chant composé pour l’occasion, dans des formes diverses allant du feuillet dépliant à la brochure d’une vingtaine de pages.
Dès le début, le programme de la Semaine de prière comprenait des conférences données à Lyon par des orateurs très variés permettant de s’initier à la théologie comparée des grandes religions. Entre 1933 et 1939, cinquante-deux personnalités, souvent de premier plan, se seraient exprimées.
Dès l’été 1937, un petit groupe de prêtres et de pasteurs suisses-allemands se réunit quatre jours pour une rencontre spirituelle interconfessionnelle à l’abbaye trappiste Notre Dame des Dombes (Ain). Les années suivantes, les rencontres ont lieu soit à Notre Dame des Dombes (1939) soit à Erlenbach en Suisse alémanique (1938 et 1940). C’est en cette même abbaye que naîtra en septembre 1942, le groupe de travail théologique œcuménique appelé « Groupe des Dombes ».
Grâce à un émigré russe lyonnais, Couturier prend contact avec des anglicans favorables à une union entre l’Eglise anglicane et l’Eglise romaine, lors de voyages en Grande-Bretagne en 1937 et 1938. En quelques années, the Week of the Universal Prayer, de l’abbé lyonnais se substituera à the Church Unity Octave de Paul Wattson.
A la suite de divers entretiens et contacts au début de l’année 1940, Couturier apporte son soutien à la naissance d’une communauté religieuse protestante fondée sur la prière pour l’Unité, la communauté des Sœurs de Grandchamp (dans le canton de Neuchâtel, en Suisse), pour laquelle il écrira de très beaux textes spirituels. A l’automne de cette même année 1940, il rencontre à Lyon le pasteur réformé suisse Roger Schütz qui envisage aussi de créer à Taizé (Saône-et-Loire) une communauté monastique œcuménique, communauté créée en 1949.
En 1942, paraît le premier numéro des Pages Documentaires, l’ancêtre de la revue Unité chrétienne. Paul Couturier, l’année suivante, évoque dans cette publication l’idée du « Monastère invisible » qui, pas seulement pendant la Semaine de prière mais tout au long de l’année, réunit dans la prière tous les chrétiens des différentes confessions qui se soucient de l’unité. Ce « monastère invisible » ne fera jamais l’objet d’un exposé didactique.
Après la guerre, l’essentiel de ses forces passe dans la diffusion de sa formule de prière, en France et au-delà. Le soutien du cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, le protège des soupçons de Rome à l’encontre de sa démarche irénique.
L’abbé Couturier meurt à la tâche, en 1953, avant de voir le triomphe de l’œcuménisme spirituel à Vatican II. Dans le décret sur l’œcuménisme (Unitatis redintegratio) au n° 8, le concile valide la formule de Couturier : « Cette conversion du cœur et cette sainteté de vie, ensemble avec les prières publiques et privées pour l’unité des chrétiens, doivent être regardées comme l’âme de tout l’œcuménisme et peuvent à bon droit être appelées œcuménisme spirituel. »
Rédacteurs :
Jean-Michel DESTORS. Théologien catholique, membre d’Unité Chrétienne et du Conseil diocésain à l’œcuménisme du diocèse de Lyon.
Alain MASSINI. Pasteur retraité de l’Eglise Protestante Unie de France, membre d’Unité Chrétienne et du Groupe des Dombes.
Notes
[1] On se souviendra notamment des propositions du théologien tchèque Jan Amos Comenius, le père de la pédagogie moderne, qui, déjà au 17ème siècle, proposait un processus d’union des Eglises.
[2] Dès le début du 19ème siècle, sont créées des sociétés, des Unions, des Alliances : Société biblique et étrangère (1804), Société des Missions (1822), Alliance évangélique (1846), Association pour la promotion de l’unité du christianisme, créée par des anglicans (1857), Fondation de la Communion anglicane (1867), Ebauche de la Fédération luthérienne mondiale (1868), Alliance Mondiale des Eglises réformées (1875), Conférence œcuménique Méthodiste (1881), Conférence des évêques vieux – catholiques (1889), Conseil international des Eglises congrégationalistes (1891), Alliance baptiste mondiale (1905).
[3] L’objectif affiché de cette base doctrinale était la réunion des Eglises séparées, et les quatre piliers sur lesquels il s’appuie sont :
- l’Écriture sainte, qui renferme tout ce qui est nécessaire au salut et forme le recours ultime en matière de foi ;
- le symbole de Nicée-Constantinople, et le symbole des apôtres, en constituent des exposés suffisants ;
- les sacrements institués par le Christ lui-même : baptême et eucharistie ;
- l’épiscopat historique, adapté aux conditions locales.
[4] Cf. La Lettre encyclique Divinum Illud munus de Léon XIII, publiée en 1897. Extrait cité par Anne-Noëlle Clément. L’abbé Paul Couturier, unité des chrétiens et unité de l’humanité. Lyon, Olivétan, 2015, p. 22. :
« Il y a deux ans, dans Notre Lettre Provida matris, Nous recommandions pour la Pentecôte des prières destinées à hâter l’unité du peuple chrétien ; aujourd’hui, il Nous plaît de prendre à ce sujet des décisions plus étendues. Nous décrétons donc et Nous ordonnons que dans tout le monde catholique, cette année et les suivantes, une neuvaine soit faite avant la Pentecôte dans toutes les églises paroissiales, et, si l’Ordinaire le juge bon, dans toutes les églises. »
[5] Sur la doctrine catholique du «retour» Cf. Anne-Noëlle Clément. op.cit. p 21.
[6] Lors de cette conférence, un délégué asiatique, M. Cheng Ching Yi, parlant au nom des “ jeunes Eglises “, supplia les missions d’apporter aux païens « une Eglise chrétienne unie sans divisions confessionnelles », sa supplique fut entendue car les participants furent aussi, au cours de la conférence, confrontés pour la première fois au problème de ne pouvoir prendre la communion ensemble.
[7] Cf. Sur ce point : René Beaupère, L’œcuménisme, Paris, Centurion, 1991, pp. 17-25
[8] On trouvera le texte de Mortalium animos, Lettre encyclique de sa sainteté le pape Pie XI sur l’unité de la véritable Eglise, publiée le 6 janvier 1928, sur le site du Vatican : http//www.vatican.va
[9] Le révérend Lewis Wattson pendra le nom de Paul Wattson après sa conversion au catholicisme en 1908.
[10] D’après E. Fouilloux, Les catholiques et l’unité chrétienne du XIXe au XXe siècle. Itinéraires européens d’expression française, éd. Du Centurion, 1982, Paris, pp. 269-345, 490-510, 625-648, et A.-N. Clément, L’abbé Paul Couturier. Unité des chrétiens et unité de l’humanité, Lyon, éd. Olivétan, 2015.